Michelin souffle sa dernière bougie* en
guise d’un dernier adieu et lâche son bonhomme* de neige. Michelin
qui n’entend plus rester maître du jeu se retire sur la pointe des pieds du
jeu.
Pionnier du pneumatique à l’échelle
mondiale, principal usager du réseau routier en Algérie, ce Rimbaud
de grands chemins, comme on aime à le qualifier, mènera longtemps la bohème sur
les routes sahariennes qu’il sillonnera sans répit, aux côtés des mastodontes
de l’époque. Dunlop, Firestone, Goodyear, Kléber Colombes, Bridgestone, Metzeller
… brouilleront les pistes et feront parler d’eux pour la première fois. Le pneu Michelin
assistera et en grand maître au débarquement des alliés en Algérie
en 1942, et à l’arrivée massive et fracassante des voitures américaines,
anglaises et françaises. Ford, Chrysler, Pantiac, Porsche, Chevrolet,
Jaguar, M.G.britannique, Plymouth, Cadillac, Jeep Willis, Panhard, Simca,
Peugeot, Citroën, Renault …inonderont le marché algérien et en force. Alger
vivait* en ce temps là à l’heure américaine et au rythme de
l’élégance et du beau style zazou.Le pneu Michelin y verra également et
d’un bon œil l’arrivée des camions Hotchkiss venus encombrer de
leur parcours bruyant les pistes de l’Est algérien tristement appauvries. C’est
le début de l’insurrection armée, et les camions G.M.C. arrivés
en grand renfort affluent de partout. Le temps d’un léger flirt entre les deux
partenaires et les convois lourdement chargés prennent aussitôt le maquis pour
servir la cause*. Le marché de la pièce détachée s’avère florissant
et rapporte gros. Hotchkiss se frotte les mains. Il réalise les meilleures ventes
en ces premières années 50 et se taille même de beaux succès. La guerre ouvre
une nouvelle fois la brèche. C’est le grand saut.
Berliet, qui hésite depuis longtemps se lance lui
aussi dans la bataille et rallie son prédécesseur. Il s’installe à Rouiba,
un petit bourg agricole situé à quelques kms d’Alger. Un projet à
risque qui coïncide avec la crise algérienne qui secoue la Ve
république et qui se heurte au coup d’envoi de l’opération Couronne
déclenchée par le général Challe au mois de février 1957. Pour Berliet,
les affaires démarrent et vont bien. Il ouvre une première et grande enseigne à
Maison-Carrée, route nationale 5, et lui donne l’appellation de Mécanique
Automobile Industrielle et Agricole,
et AKLI RAHAL y est son premier directeur des ventes. C’est le
grand boom. Berliet, y trouve de nouveau son bonheur sur les
terres algériennes. Le marché algérien s’annonce une nouvelle fois très porteur
pour nos deux géants.
Michelin, qui assistait jusque là impuissant au
ralliement de ses aînés, leur emboite cette fois le pas et jette les jalons
d’une nouvelle cohabitation. Nous sommes au mois de juin de l’année 1959. Michelin
va devoir affronter le tumulte assourdissant d’une Algérie
française qui s’estompe peu à peu, et l’écho grandissant d’une Algérie
musulmane qui se manifeste au loin. Quelle audace ! ni l’un ni l’autre ne
le feront changer d’avis. Il sera d’ailleurs « le dernier des
mohicans » à résister aux turbulences de l’histoire. C’est dans la
banlieue d’Alger qu’il préfère s’implanter, plus précisément, au Lotissement
Michel*,
un quartier résidentiel, plus proche de Kouba que de Hussein-Dey.
La proximité de ces beaux pavillons, le parfum des fleurs, et le langage des O.S
y trouveront ombrage dans un cadre typiquement mécénat. Michelin
sera servi. Il y servira* à son tour.
Michelin démarre … et timidement, d’abord, il y
trouvera refuge dans un grand hangar qui servira longtemps de point de vente et
de stockage, qu’il approvisionnera de son usine de Clermont-Ferrand.
Il n’ira pas loin. Tout se dit, tout se fait, tout se crée ailleurs. Michelin
Algérie est là, pour assurer uniquement la distribution de ses pneus.
Il y restera d’ailleurs fidèle serviteur, pour une longue période. L’idée
d’installer une nouvelle chaîne de fabrication ne l’effleure pas trop. Il
faudra attendre l’année 1964 pour que celui-ci daigne enfin parler de
production locale. Il lancera en 1961, soit deux années après son installation, un
point de vente, au 10 rue de Lyon, actuel -Med
Belouizdad – qu’il baptisera Société Commerciale
du Pneumatique. Mrs
L. CHARDONNET et R. PUISEUX y seront les futurs
gérants et les premiers à assurer le circuit commercial en dehors de l’usine. Michelin
ne s’arrêtera pas là et prend le risque de braver les terres sahariennes
hospitalières mais difficiles à conquérir. Il y arrivera, et concédera même le
droit de vente de ses pneus à la S.A.T.A.P, ou la Société
Saharienne de Pneu, un poste de relais installé à Hassi-Messaoud
– Oasis – au début de l’année 1960. Le goût de l’aventure et la passion du risque
le mèneront loin. Il y gagnera en points.
L’année 1959 est, quant à elle, une année
riche en exploits. Robert Lacoste, le ministre français résidant, annonce en cette même année, la découverte d’un nouveau gisement
pétrolier au Sahara algérien. Une nouvelle fois, c’est la ruée, c’est le grand
rush.
Hotchkiss, Berliet et Michelin
formeront peu après, un tandem de charme auprès des grandes compagnies
pétrolières de l’époque. Le Sahara est vaste et accueillant. Shell,
Total, British Petroleum, Mobil Oil, Esso Standard, S.N.Repal, Alfor …
y feront fortune.
L’arrivée de Michelin en Algérie
fut également l’année de tous les enjeux. Elle coïncide avec l’écho sanglant
des « violons de l’automne » qui continue toujours d’ébranler les
consciences des partisans de l’Algérie française.
De l’année 1957 ou « la grande bataille d’Alger »
à la fameuse phrase de « Je vous ai compris » à cette année
2013, ou ces « révolutions arabes » vite désenchantées, il n’y a
qu’un pas. L’onde de choc d’hier n’a pas fini de faire parler de lui.
L’Algérie est une terre
d’investissements et de conquêtes. Le marché algérien s’ouvrira bientôt vers de
nouveaux horizons et compte attirer de
nombreux projets. Michelin, saura t’il faire preuve de dynamisme
et parler d’une nouvelle relance ? Pour cela, il ne lui reste plus qu’à
convoiter de nouvelles terres algériennes et adopter une nouvelle stratégie.
C’est ce qu’on appelle cultiver*
l’art industriel du vieux Edouard.
L’Organisme Technique
pour la mise en valeur des Richesses du Sous-sol
saharien, dont le siège est situé à l’ex boulevard Galliéni - actuel
boulevard colonel Bougara - fut crée dans le cadre des accords d’Evian
du 28 Août 1962, signés entre l’exécutif provisoire algérien et le gouvernement
de la République française. Il a pour but de promouvoir les mesures propres à
assurer la mise en valeur des richesses du sous-sol algérien. Il reprend en
partie les attributions techniques de l’O.C.R.S. Mr Lamine
KHENE fut désigné en qualité de P.D.G et Mr Med
LIASSINE fut nommé membre du conseil d’administration. Rappelons que le
premier se voit confier peu après, les fonctions de ministre des travaux publics,
jusqu’à la fin de l’année 1971. Quant au second, il occupera successivement le
poste de ministre de l’industrie lourde, ensuite celui de ministre de
l’hydraulique.
Du côté français, Mr Claude CHEYSSON fut désigné D.G.
et Mr Olivier GUICHARD, membre du conseil
d’administration (pour ne citer que les personnalités les plus influentes).
Notons que le premier cité eut à gérer le portefeuille de ministre des
relations extérieures dans le gouvernement de Pierre MAUROY et le
second, gaulliste convaincu, fut le chef de cabinet de de Gaulle.
En voici quelques extraits ou les
« fines fleurs » des compagnies pétrolières françaises et étrangères ayant
élu domicile en Algérie au début de l’année 1925 pour Shell.
·
Compagnie Algérienne de Recherches
et d’Exploitations Pétrolières C.A.R.E.P
Hydra Alger.
·
Compagnie Française des Pétroles
(Algérie) C.F.P.A rue du Sahara Alger.
·
Compagnie des Pétroles d’Algérie
C.P.A rue Daguerre Alger.
·
Société Nationale de Recherches
et d’Exploitations des Pétroles en Algérie
S.N.Repal Alger.
·
Société des Exploitations des Hydrocarbures de Hassi-R’mel
S.E.H.R. rue Compocassa Alger.
·
Société des Pétroles des Hautes
Plaines S.P.H.P.D.S.
bd Saint Saëns Alger.
·
Compagnie Algérienne de Pétrochimie
P.E.T.R.A.L rue amiral
Bruix Paris.
·
Entreprise
de Forage Nord Africain bd Saint Saëns Alger.
·
Société des Gaz et de Pétrole
de l’Est Algérien S.O.G.A.P. bd Saint Saëns Alger.
·
Compagnie Africaine de Raffinerie
de Berre Beryl Algérie Hussein Dey Alger.
·
Société de la Raffinerie d’Alger
rue Michelet Alger.
·
Raffineries Algériennes R.A.F.A.L bd Carnot Alger.
·
Algérienne des Pétroles Mory
bd Carnot Alger.
·
Algérogaz Rue
Vignon Paris.
·
Caltex Algérie (voir Union Industrielle
des Pétroles d’Algérie)
·
Esso Standard Algérie
bd Victor Hugo Alger.
·
Mobil Oil Nord Africain rue Michelet Alger.
·
Société Anonyme des Pétroles
Mory bd Carnot Alger.
·
Société de Distribution Africaine
de Primagaz bd Saint Saëns
Alger.
·
Société des Pétroles d’Algérie
avenue Général Yusuf Alger.
·
Société Shell d’Algérie bd
Saint Saëns Alger.
·
Union Industrielle des Pétroles
d’Algérie U.I.P.A bd
de France Alger.
·
Société Nationale Repal Chemin du Réservoir Hydra Alger.
·
Total, Rex Société Algérienne des Huiles Minérales... rue Michelet, Alger. Président : R.Perrin
British Pétroleum et Shell demeurent à ce jour
les maîtres historiques dans l’exploration des pétroles et du gaz en mer du
Nord, derrière le géant norvégien Statoil. Ce dernier arrive en
tête suivi de très près par Total qui continue toujours de briguer
la première place.
BOUGIE : Pour explorer, pacifier et prêcher
la bonne parole en Afrique Noire, Livingstone, Stanley
et Savorgnan Pierre de Brazza
ont usé pas mal de sandalettes en « caoutchouc ». Pour conquérir
cette fois le continent africain, Michelin devra lui aussi user de
…
BONHOMME : Un bonhomme qui, en fait ne le
quitte pas et ne le quittera jamais. Parler des pneus Michelin c’est
aborder l’image attendrissante de ce bel ange blanc aussi blanc
qu’un amas de neige. Engoncé dans une belle coquille blanche et toute neuve ,
un sourire qui vous accoste à chaque coin de rue comme dans cette charmante
petite ville d’Autriche, un pas de géant mais plus léger qui
rappelle celui d’un extraterrestre, « Bruno » ira
conquérir et en grand seigneur les terres de l’Alaska si
lointaines et si proches, si belles et si sauvages. Une histoire merveilleuse
qui ira rejoindre celle du Père Noël « finlandais ».
Bâtissons ensemble la légende de « Bruno » ou le pneu Michelin
universel.
VIVAIT : 1947 / 1949. Une barbichette fine et
bien taillée pour certains, une barbe mal rasée pour d’autres, une chevelure
blonde et abondante, rejetée quelquefois en arrière avec une légère touffe sur
les côtés, un imperméable gris sous le bras, un cartable bourré de désillusions
dans l’autre main, les déçus de la « génération perdue » se
retrouvent à l’Hôtel St Georges ou à l’Hôtel
d’Angleterre à la recherche de quelque chose d’inexplicable… de quelque
chose qui leur échappe et que nul ne connaît.
·
Après le cafard américain ramené des Etats-Unis
d’Amérique en 1942 et retrouvé dans le paquetage des soldats américains
et qui foulera pour la première le sol algérien - il y séjournera d’ailleurs
pour l’éternité -. Voici, venu cette fois le syndrome de la
déprime américaine qui ira se loger dans les neurones des têtes algériennes.
·
Sartre, Camus, Hemingway, Drieu la
Rochelle, Malraux enflamment en ce début d’année 1957 les idées philosophiques et
littéraires de cette pléiade* d’intellectuels vautrés sur les
canapés en moleskine de l’Hôtel Aletti et du Milk Bar.
CAUSE : « Faites l’amour faites
la guerre » oui, mais quand cette dernière devient inévitable. Une belle romance dont
les prémices remontent croit-on-savoir à l’ère napoléonienne. Elle réapparaîtra
de nouveau lors de la guerre de 14/18 et de 39/45 auxquelles viendront se
greffer les cris, les pleurs et les désolations. Elle quittera le champ de
bataille, la tête haute, car de guerre « juste » elle n’osera passer
à guerre injuste. Jetée dans les rues de New York, tirée par les
cheveux lors de la guerre du Vietnam, la nouvelle venue sera
livrée pieds et poings liés aux beatniks qui en firent leur nouveau slogan
« Faites l’amour pas la guerre ».
LOTISSEMENT MICHEL : Un quartier résidentiel aux abords de Kouba,
Vieux Kouba et de Ben Omar auquel il fut relié
autrefois. Aujourd’hui, il relève de la ville de Hussein-Dey et
demeure à ce jour le bastion de l’intégrisme, car plus près des cités
populaires, telles que Leveilley, la Glacière, Oued Ouchayah, Berardi,
Cité d’Urgence, P.L.M.
SERVIRA : Michelin comblera ses salariés de cadeaux de Noël
et de fin d’année. On parlera même d’étrennes qui seront remises de porte à
porte dans les quartiers chics de Lotissement Michel.
CULTIVER : Michelin qui refuse de rejoindre le cercle
financier demeure toujours fidèle à cette philosophie si riche et à cette
conception de grand maître industriel qui ne le quittera jamais.